La carte postale ancienne ci-dessous, antérieure à l’année 1911 (le cachet de la poste faisant foi !), représente une photographie de la rue principale de Parigné l’Evêque, une petite ville de la Sarthe, située à environ quinze kilomètres au sud-est du Mans.
La rue principale fait partie de la route départementale qui va du Mans à Tours en passant par le Grand-Lucé. L’éditeur a d’ailleurs intitulé la carte postale « PARIGNE L’EVEQUE – Route du Grand-Lucé ».
Au premier plan, sur la gauche, une enfant est adossée à un arbre et des habitants posent devant le commerce d’un tailleur. Un peu plus loin, au second plan, une femme et une enfant sont debout sur le seuil d’un commerce dont l’enseigne est illisible. Juste au-dessus, un individu se montre à la lucarne. Sur le côté droit de la rue, quatre hommes en tenue de travail observent le photographe. Un cheval est attaché par son licol au mur d’une maison.
Sur le côté gauche de la rue, on remarque à l’extrémité d’une hampe, une enseigne avec ce qui semble être un cheval blanc sur fond noir. En zoomant sur cette enseigne, on s’aperçoit qu’il est inscrit à la peinture sur le bâtiment « Hôtel du Cheval Blanc ».
Aujourd’hui, la rue principale a été renommée Avenue du docteur Gallouédec1. Il n’existe pas d’hôtel du Cheval Blanc au n°21, 21 bis et 23 de cette avenue.
Essayons de retrouver la trace de cet hôtel dans les répertoires de notaires de l’étude de Parigné-l’Evêque. On trouve une référence à un acte de vente, dressé le 18 octobre 1886, d’un hôtel nommé le Cheval Blanc (AD 72, 4 E 80/204) . Les origines de la propriété décrites dans l’acte de vente permettent de remonter d’acte en acte et ainsi de reconstituer l’histoire de cette bâtisse.
La maison des bois (avant 1795)
Les premiers propriétaires connus sont les époux Picot. Jean Denis François Picot de Grand Pont est un notable de Parigné l’Evêque. Il exerce la profession de contrôleur des actes2 au bureau de Parigné. Son épouse, Marie Boussion, a accouché de trois garçons : Jean Gabriel Charles François en 1752, Anne Philippe Ambroise en 1760 et Marie Jean Charles en 1765. Ils habitent une maison cossue, la maison des bois, située dans le bourg sur la route de Lucé3. Elle comporte une cuisine, une salle, deux chambres hautes, une écurie, une remise, une cour et un jardin. Agé d’environ soixante-trois ans, Jean Picot décède le 11 septembre 1779 et est inhumé dans le cimetière de Parigné. Son épouse et ses enfants vendent la maison seize ans plus tard, le 21 vendémiaire an IV (13 octobre 1795).
L’Auberge de la Croix Blanche (1795-1827)
Les nouveaux propriétaires, Mathurin Beaugé et Jeanne Catherine Housseau, emménagent le 11 brumaire an IV (2 novembre 1795) avec leurs deux enfants, Mathurin âgé d’un an et Pierre qui n’a que six jours. Ils agrandissent la maison des bois pour la transformer en hôtel-restaurant : l’Auberge de la Croix Blanche.
Lors de la naissance de leur troisième enfant, Jeanne Marie, le 26 prairial an V (14 juin 1797), l’auberge est déjà ouverte. De faible constitution, Jeanne Marie décédera deux mois plus tard. Mathurin et Jeanne exploitent l’Auberge de la Croix Blanche seuls, sans aucun domestique.
En 1810, leur activité est florissante, ils emploient deux domestiques et un aubergiste, Charles, le frère de Mathurin. Selon les services de renseignement de l’empereur, Mathurin est « peu propre à remplir une place publique et menteur ». Il est visiblement considéré comme peu loquace et peu enclin à fournir des informations fiables. Il ne fait pas un bon mouchard, ces citoyens rétribués pour surveiller leurs voisins !
Après pratiquement trente ans d’activité, Mathurin et Jeanne vendent l’Auberge de la Croix Blanche le 31 octobre 1824. La maison des bois est devenue une grande bâtisse. Elle comporte désormais un bâtiment avec quatre appartements, une cuisine et une chambre à feux, une grange, une boulangerie, une boutique de bourrelier4, un toit à porcs5, deux jardins et un puit partagé avec un voisin.
Les nouveaux acquéreurs, François Levillain et son épouse Agathe Hervé, sont un couple d’aubergistes quadragénaires. Ils conservent l’auberge moins de trois ans. Pour rembourser les anciens propriétaires, ils sont contraints de la revendre le 1er février 1827. L’acquéreur, Charles Leteissier, hongreur6 à Parigné, s’en sépare six mois plus tard !
Fermeture progressive de l’auberge (1827-1876)
Jean Cordelet, marchand de porcs à Parigné l’Evêque, épouse Emélie Côme le 22 octobre1827 à Breil-sur-Mérize (72), commune où réside la jeune fille. Ils acquièrent l’auberge le 1er novembre 1827, une semaine après leur mariage.
Jean et Emélie maintiennent l’activité de l’auberge au moins jusqu’en 1836. Leurs fils, Julien Jean et Louis Auguste y sont respectivement nés le 22 avril 1831 et le 17 janvier 1834. En 1839, lors de la naissance de la benjamine, Emélie Julienne Louise, Jean Cordelet a repris son activité de marchand de porcs. L’Auberge de la Croix Blanche a probablement été fermée avant 1839.
En 1842, leur fils ainé, Julien Jean, âgé de onze ans, décède subitement. Emélie s’éteint le 21 novembre 1855 à l’âge de cinquante ans. Jean ne se remarie pas et finit sa vie dans cette demeure qu’il a partagée avec son épouse pendant vingt-huit ans. Agé de soixante-quatorze ans, il décède le 8 septembre 1874. Son fils cadet, Louis Auguste Cordelet7, est l’unique héritier (sa sœur Emélie a disparu le 23 octobre 1868).
Louis Auguste Cordelet demeure avec son épouse, Marie Louise Lebert, au Mans, où il exerce la profession d’avoué au tribunal civil de première instance. Il n’a que faire de cette demeure et la vend le 23 avril 1876 aux époux Chanteau, un couple de cultivateurs parignéens.
L’Hôtel du Cheval Blanc (1876-1911)
Jean et Anne Marie Chanteau ont acquis l’auberge pour leur fils, Adrien Jean Joseph, qui est marchand de vin. Le 16 juillet 1875, celui-ci a épousé Marie Marceline Alix, une jeune cultivatrice originaire de Pruillé-l’Eguillé (72).
Adrien et Marie réouvrent l’auberge et la nomment Hôtel du Cheval Blanc. Ils emploient une domestique pour les aider dans leur activité qui durera dix ans et s’arrêtera brusquement. En effet, Adrien décède subitement le 30 août 1886, à l’âge de trente-six ans. Son épouse, veuve et sans enfant, se remariera en 1900.
Le 18 octobre 1886, les parents d’Adrien revendent l’Hôtel du Cheval Blanc aux époux Blin. François Alexis Blin et Alexandrine Françoise Jodeau en prennent possession le jour même. Ils ont deux filles, Martine et Lucie, âgées respectivement de neuf et sept ans. Ils emploient un domestique pour les aider à tenir l’hôtel. A partir de 1906, ils hébergent un pensionnaire, Alphonse Chevallier, qui est clerc de notaire dans l’étude de Parigné l’Evêque.
Le 3 mai 1911, date à laquelle la carte postale a été expédiée, François et Alexandrine Blin sont toujours propriétaires de l’Hôtel. Alphonse Chevallier en est toujours pensionnaire. Est-ce lui qui se montre à la lucarne de l’Hôtel du Cheval Blanc sur notre carte postale ? Ou est-ce Auguste Cochereau, le domestique de l’Hôtel ?
Désormais, l’Hôtel du Cheval Blanc n’existe plus. La bâtisse a été partagée et comporte trois entrées distinctes, les numéros 21, 21 bis et 23 de l’Avenue du Docteur Gallouédec.
- En 1931, avec l’association d’hygiène du département, le docteur Gallouédec créa dans une pinède de la commune de Parigné-l’Evêque un centre médical pour soigner les tuberculeux (source : La Vie Mancelle et Sarthoise). ↩︎
- Le contrôle des actes est institué en 1693. L’administration imposent aux notaires de faire inscrire les actes notariés aux registres du contrôle des actes dans un délai de quinze jours dans le bureau le plus proche de leur étude. A partir de 1706, le contrôle des actes est étendu aux actes réalisés sous seing privé. ↩︎
- Lucé est la contraction du Grand-Lucé qui fut également nommé Lucé-le-Grand. La route de Lucé est l’actuelle route départementale du Mans à Tours. ↩︎
- Le bourrelier était un artisan qui vendait et réparait des harnais et des pièces d’attelage pour les bêtes de somme. ↩︎
- Le toit à porcs est un abri pour un à deux cochons. ↩︎
- L’hongreur était la personne qui castrait les chevaux. ↩︎
- Louis Auguste Cordelet (1834-1927) était un homme politique français. Il a été maire du Mans du 30 mars 1878 au 20 mai 1888 et sénateur de la Sarthe de 1882 à 1923. En 1876, lors de la vente de l’Auberge de la Croix Blanche, il est avoué au tribunal de première instance du Mans et membre du conseil général du département de la Sarthe (sources : Wikipédia, Le Sénat). ↩︎
Passionnante cette reconstitution des propriétaires de cet hôtel ! Bravo pour les recherches et la rédaction.
Merci Olivier 🙂
Très bel exemple de généalogie foncière 😀
Merci Noëline 🙂
Belle reconstitution foncière en partant d’une carte postale.
Merci Gilles 🙂
Bravo Olivier! Belle mise en pratique de tout ce que l’on voit en formation! Fouiller l’histoire d’un bâtiment, son évolution, ses habitants…. en partant du stricte minimum. Que demander de mieux de la part d’un généalogiste? Bravo
Merci David pour ton commentaire encourageant 🙂
Bravo pour cette reconstitution. A chaque fois que je passerai par là pour aller au Grand Lucé, je me souviendrai de l’hôtel du cheval blanc avenue du docteur Gallouedec.
Merci Régis pour ton commentaire. Et bonne route jusqu’au Grand-Lucé 🙂