Lorsqu’elle était enfant, tante Odette a entendu une histoire familiale à propos d’un grand oncle maternel dont elle a oublié le nom. Celui-ci aurait quitté la France et serait décédé aux Etats-Unis à la fin du XIXème siècle. La famille n’aurait été informée que plusieurs années après son décès. Qui est donc cet oncle d’Amérique à rechercher parmi les grands oncles maternels de tante Odette ?
Le grand-père maternel d’Odette, Antoine Buiron (1866-1947), avait deux frères, Jean et Louis.
Jean est né en 1847 à Saint-Genis-sur-Menthon (01). Il a vécu toute sa vie dans ce petit village de la Bresse où il s’est marié en 1876 avec Marie Révillon, une jeune fille du village voisin, Saint-Cyr-sur-Menthon. Lors du recensement de 1931, il a 83 ans, est veuf et vit chez sa nièce, Marie Buiron, la maman d’Odette. Tout au long de sa vie, Jean a cultivé la terre de son village et s’y est éteint.
Son frère Louis est né en 1852 dans le village de Saint-Genis. S’il a quitté son village natal pour travailler comme ouvrier agricole chez différents patrons, il n’a jamais franchi les frontières de l’Ain. En 1911, âgé de 58 ans, il travaillait comme domestique agricole chez Jules Durand à Sandrans (01).
Aucun oncle Buiron n’a quitté sa Bresse natale pour l’étranger. La grand-mère maternelle d’Odette, Jeanne Chavy (1865-1950), n’a eu qu’un seul frère, Jean-Marie.
Jean-Marie Chavy nait le 28 décembre 1848 à Saint-Genis-sur-Menthon dans une famille de cultivateurs. Il est l’ainé d’une fratrie de trois enfants. Il a 9 ans lors de la naissance de sa sœur cadette, Marie, et 16 ans lors de la naissance de la benjamine, Jeanne, la grand-mère d’Odette. Le 18 avril 1870, il épouse Benoite Bobly, qui est enceinte de leur premier enfant. Ils s’installent comme cultivateurs à Bagé-la-Ville (01) où Benoite accouche le 11 septembre d’un garçon prénommé Jean-Marie Prosper (nous le nommerons Prosper pour le distinguer de son père Jean-Marie). Ils quittent Bagé-la-Ville pour Dommartin (01) où ils tiennent un cabaret au lieu-dit Coberthoux. Leur fille Jeannette y nait le 13 décembre 1872. La famille quitte le département de l’Ain après 1876 pour s’installer à Fuissé en Saône-et-Loire, où Jean Marie et Benoite cultivent la terre au lieu-dit Vers Dioux.
En octobre 1881, Jean-Marie quitte son domicile de Fuissé pour se rendre dans le midi pour fabriquer de l’eau de vie. Jamais sa femme et ses enfants ne le reverront. Qu’est-il arrivé à Jean-Marie ?
Au début des années 1890, son fils, Prosper Chavy, fréquente Anne Lamé, une jeune couturière née à Couéron en Loire Inférieure (actuel département de Loire-Atlantique). Pour épouser Anne, Prosper a besoin du consentement de son père, mais celui-ci a disparu. Un jugement du tribunal d’instance de Mâcon en date du 17 octobre 1893, publié au journal officiel, déclare l’absence de Jean-Marie :
« Par jugement en date du 17 octobre 1893, le tribunal de première instance de Mâcon (Saône-et-Loire) a déclaré l’absence du nommé Chavy (Jean-Marie), né à Saint-Genis-sur-Menthon (Ain) le 28 décembre 1848, fils de Pierre Chavy et de Marie-Françoise Mercier, époux de Benoite Josepthe dit Constance Bobly, domicilié en dernier à Fuissé, disparu en octobre 1881, disant qu’il se rendait dans le Midi pour fabriquer de l’eau-de-vie. Personne depuis n’a eu de ses nouvelles. »
Journal Officiel de la République Française, vingt-sixième année, N°21, Lundi 22 janvier 1894
Grace à ce jugement et avec le consentement de sa mère, Prosper épouse Anne le 17 janvier 1895 à Fuissé. Le jour du mariage, la famille ignore toujours ce qu’il est advenu de Jean-Marie disparu 13 ans plus tôt.
Un mois plus tard, le 27 février 1895, une succession en déshérence au nom d’un certain Chavy Jean Marie est publiée au journal officiel de la République Française :
« 35° Chavy (Jean-Marie), cultivateur, né à Saint-Genis (Ain), décédé à Blida le 20 décembre 1884. »
Journal Officiel de la République Française, vingt-septième année, N°57, Mercredi 27 février 1895
Jean-Marie serait donc décédé le 20 décembre 1884 à Blida ! Que faisait-il en Algérie ?
La ville de Blida est occupée par l’armée française en 1839 et devient une commune française le 13 avril 1848. Elle est une ville de garnison militaire durant toute la période de la colonisation française et jusqu’à l’indépendance, le 5 juillet 1962. Pour cette période, les registres d’état civil de la ville de Blida sont numérisés sur le site des Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM).
L’acte de décès de Jean-Marie Chavy indique que celui-ci est décédé le 20 décembre 1884 à l’hôpital militaire de Blida. Il est le fils de Pierre Chavy et Françoise Mercier et est né à Saint-Genis-sur-Menthon dans l’Ain. Cela ne fait aucun doute, il s’agit bien de l’époux de Constance Bobly et du père de Prosper et Jeannette Chavy. Indice troublant, l’officier d’état civil a noté qu’il était veuf de Constance Bobly. Or celle-ci n’est décédée que le 22 juin 1936 ! Pourquoi Jean-Marie s’est-il déclaré veuf lors de son admission à l’hôpital ? aurait-il donc abandonné volontairement sa famille ? Ces questions resteront à jamais sans réponse.
Prosper Chavy n’a jamais eu connaissance du Journal Officiel du 27 février 1895. En effet, après leur mariage, Prosper et sa jeune épouse Anne Lamé s’installent comme cavistes dans le dixième arrondissement de Paris, rue de la Grange aux Belles. Prosper y décède subitement dans la nuit du 21 au 22 décembre 1896. Sur son acte de décès, il est mentionné que son père est absent. Jean-Marie est décédé à 36 ans et Prosper à 26 ans. Le Père et le fils ont tous deux vécu une courte existence…
Dans l’esprit de ma tante, enfant, elle avait un grand oncle qui était décédé en Amérique. Il s’avère que celui-ci est décédé en Algérie, à Blida, après avoir probablement abandonné volontairement sa famille. Nul ne saura ce qu’avait en tête Jean-Marie Chavy lorsqu’il a quitté le village de Fuissé en octobre 1881. Son périple aura été de courte durée, puisqu’il est décédé à l’hôpital militaire de Blida, un peu plus de trois ans après son départ du domicile conjugal.
Très belle histoire ayant nécessité des recherches dans un éventail très large de documents d’archives.
Merci Gilles pour ton commentaire 🙂
Un oncle d’Amérique qui est finalement un oncle d’Algérie ! Très belle histoire ! On aurait aimé aussi savoir pourquoi il est parti en Algérie…
Merci Olivier pour ton commentaire. Je pense que l’on ne saura jamais ce qui l’a incité à quitter sa famille pour partir en Algérie. Son départ était-il prémédité ? Je l’ignore…
Merci Olivier d’avoir retracé son histoire ,
penses-tu que si l’on cherche dans les listes des passagers en partance pour l’Algérie on aurait une chance, si elles existent ? Mon oncle Jacques a lui aussi entendu parler d’un oncle parti en Amérique pour éviter de faire la guerre et il souhaitait emmener avec lui mon arrière grand-père Claude Benoît Jules Buiron fils de Benoît Buiron et Jeanne Marie Chavy. Je pense qu’il s’agit de la même personne et que l’histoire au fils du temps a été transformée..
Merci Séverine pour ton commentaire.
Jean-Marie Chavy a probablement embarqué à Marseille pour l’Algérie. Je n’ai pas trouvé en ligne de listes de passagers pour la période de 1881-1884.
Concernant les Buiron, il y a un Paul Buiron, greffier, agé de 28 ans, qui a débarqué en 1877 à Ellis Island. A ma connaissance il ne fait pas partie de notre famille. Je n’ai pas trouvé d’autres Buiron sur les listes de passagers arrivant en Amérique.
Louis Buiron dont je parle dans l’article, a été insoumis. Il a été condamné le 15 juillet 1884 à 1 mois de prison pour insoumission, mais en temps de paix.
Très bel article, parfaitement documenté.
Jean-Marie se serait-il fait passer pour un veuf afin de s’engager volontairement dans l’armée ? Une envie d’aventure ?
Merci Noëline pour ton commentaire.
Je ne pense pas qu’il souhaitait s’engager dans l’armée car la profession indiquée sur son acte de décès est cultivateur.
passionnant et captivant, on a envie d’en savoir plus…
On a envie de retrouver son dossier d’admission à Blida !
Merci Philippe pour ton commentaire.
L’histoire est très bien écrite et captivante!
Malgré les informations nombreuses on arrive à se retrouver dans l’arbre familial, mais peut-être pourrait-il être ajouté?
Merci Véronique pour tes conseils.