Nuit de la Toussaint tragique pour un fusilier marin

En octobre 1909, François Corbel embarque à Saïgon à bord du paquebot-vapeur le « Gange ». Quartier Maître de Mousqueterie dans le bataillon des fusiliers marins, il quitte la Cochinchine où il est en garnison pour retrouver sa famille en métropole. La nuit de la Toussaint, le « Gange » est dans le Détroit de Malacca…

François Mathurin Alexis Corbel, fusilier marin

François Mathurin Alexis Corbel est né le 28 avril 1871 à Plénée-Jugon, une petite ville rurale des Côtes-du-Nord¹. Il est le septième d’une fratrie de huit enfants. Sa mère, Jeanne Marie Serot, est ménagère. Son père, François, et son grand-père paternel, Charles, sont tous deux laboureurs. François rompt la tradition familiale pour s’engager dans le bataillon des fusiliers marins à Lorient. Il y fréquente une jeune fille, Jeanne Louise Le Pogam, cultivatrice au hameau de Kerlégan², sur la commune de Ploemeur, village limitrophe de Lorient. Il finit ses classes et obtient son brevet de fusilier marin (matelot de 1ère classe) avant d’épouser Louise, le 23 décembre 1893, à la mairie de Ploemeur.

Une famille heureuse

François quitte le domicile de ses parents à Dinan pour s’installer avec son épouse rue de Brest³ dans le quartier de Keryado à Ploemeur. Leurs deux premiers enfants, Jeanne Louise Désirée et Marguerite Marie Alexandrine, y naissent le 7 mars 1895 et le 29 décembre 1899. Pendant ce temps, François a obtenu son premier grade au sein du bataillon des fusiliers marins ; il est désormais quartier-maître de mousqueterie⁴. Les époux quittent leur logement rue de Brest pour s’installer rue de la Chapelle dans le quartier du Miano. Leur troisième fille, Valérie Françoise Joséphine, y nait le 26 janvier 1902. Le 16 septembre 1906, Louise met au monde leur quatrième enfant, François. La déclaration de sa naissance est faite par une voisine, Mme Tanguy, François étant absent lors de la naissance de ce garçon tant attendu. Le 1er janvier 1908, François Corbel devient officier marinier ; il est promu au grade de second maitre de mousqueterie de 2ème classe :

« Maistrance⁵
Par décision ministérielle en date du 23 janvier 1908 les officiers mariniers et quartiers-maîtres dont les noms suivent, inscrits sur la liste par ordre de mérite du 1er semestre 1908 ont été promus pour compter du 1er janvier 1908. (…)
Au grade de 2e maître de mousqueterie de 2e classe (…)
Corbel (François-Mathurin-Alexis), Lorient, 4073 points. »

Le Courrier Morbihannais du 02/02/1908

Octobre 1909, Saïgon, Cochinchine

En 1909, François a trente-huit ans. Il est en garnison à Saïgon en Cochinchine. Il a probablement pris ses quartiers dans la caserne des marins, située sur le quai Primauguet au bord de la rivière de Saïgon :

En cette journée d’octobre 1909, François Corbel quitte la chaleur intense et moite de Saïgon pour embarquer à bord du « Gange », un paquebot vapeur de cent quarante et un mètres de long pouvant embarquer mille trois cents passagers. Le « Gange » est un navire des Messageries Maritimes⁶, affecté à la ligne Marseille-Saïgon-Haïphong. François embarque en qualité de passager. Il retourne à Keryado, près de Lorient, retrouver son épouse Louise et ses quatre enfants. Le benjamin François a eu trois ans en septembre dernier. Ses filles Valérie, Marguerite et Jeanne ont respectivement sept, dix et quatorze ans. Il est impatient de retrouver sa famille. La durée de la traversée de Saïgon à Marseille est d’environ trente jours.

Quelques jours après son départ de Saïgon, le « Gange » fait escale à Singapour, avant de continuer sa route en direction de Colombo.

Nuit de la Toussaint dans le détroit de Malacca

La nuit de la Toussaint, le « Gange » est engagé dans le détroit de Malacca. Situé entre l’île de Sumatra et la péninsule Malaise, le détroit de Malacca est sur la route la plus courte de l’Asie à l’Europe. En pleine nuit, à trois heures quinze du matin, le capitaine, Clément Froment, découvre à son bord un cadavre qu’il identifie être celui de François Mathurin Alexis Corbel. François est décédé à l’âge de trente-huit ans, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1909, en pleine mer, par latitude 3°05’ Nord et longitude 98°15’ Est.

En tant que capitaine du « Gange », Clément Froment remplit à bord les fonctions d’officier de l’état civil. Il rédige l’acte de décès à trois heures trente, en présence de deux témoins : Théophile Poupon, second lieutenant et Casimir Ardissone, sergent au 2ème régiment d’infanterie coloniale. La prochaine escale est dans huit jours, le corps ne peut être conservé à bord. Les effets personnels de François sont conservés pour être remis à sa famille. Son corps est préparé pour des funérailles en mer⁷. Il est probablement revêtu de son uniforme de fusilier marin avec l’insigne de second maitre comportant deux chevrons dorés. Quelques prières sont prononcées puis son corps est lesté et immergé.

Le 8 novembre 1909, le « Gange » accoste à Colombo. L’acte de décès est transcrit sur les registres du Consulat de France sur l’Ile de Ceylan (actuel Sri Lanka).

Le 5 janvier 1910, l’acte est transcrit sur les registres de la commune de Keryado. C’est probablement à ce moment-là que Louise Le Pogam apprend le décès de son mari et récupère ses effets personnels…

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1. Le département des Côtes-du-Nord a été renommé Côtes-d’Armor en 1990. ↩︎
2. Kerlégan est un hameau du quartier de Keryado sur la commune de Ploemeur. En 1901, à la suite du démembrement de Ploemeur, Keryado devient une commune éphémère qui sera rattaché en 1947 à la commune de Lorient (source : wikipédia). ↩︎
3. La rue de Brest à Ploemeur est désormais l’actuelle rue de Belgique à Lorient. ↩︎
4. La mousqueterie désigne le service des fusiliers marins à bord des bâtiments de guerre (source : Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales). ↩︎
5. La maistrance est l’ensemble des officiers de la Marine nationale, ceux-ci sont formés à l’Ecole de maistrance. ↩︎
6. Source : Site web L’Encyclopédie des Messageries Maritimes. ↩︎
7. Source : Le rituel des morts en mer, sans sépulture ↩︎