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Victor Leveau, un soldat qui fait honneur aux pupilles de la Seine (2/2)

Victor a vingt ans lorsqu’il s’engage volontairement dans l’armée le 5 juin 1913 à la mairie du Mans. Il est de taille moyenne, a des cheveux châtain clair, des yeux bleu verdâtre et un signe distinctif : une cicatrice au front et à l’œil droit. Il est affecté au 115e Régiment d’Infanterie à Mamers sous le matricule 3923.

115e Régiment d’Infanterie de Mamers – Collection personnelle
115e Régiment d’Infanterie de Mamers – Collection personnelle

Il arrive à son corps d’affectation le jour de son engagement. Lorsque le 115e RI quitte Mamers pour la Marne, le 5 aout 1914, Victor est Caporal1.

Le galon d’or

Victor est nommé Sergent2 le 11 octobre, puis Sous-Lieutenant3 à titre temporaire le 30 novembre 1914. Trois faits d’armes remarquables lui ont permis d’obtenir ce premier galon d’or4. Il les relate dans une lettre qu’il adresse à Monsieur Burgh, directeur de l’agence des enfants assistés de la Seine au bureau d’Ecommoy (A.D. de Paris, D5X4 1316).

Pour son premier fait d’armes, la dixième compagnie est isolée, elle reçoit l’ordre de prendre un pont et de conserver la position pendant le passage des troupes. Victor est détaché avec quatre hommes pour reconnaître les abords du pont. Les cinq soldats s’approchent prudemment. Ils ont à peine parcouru une centaine de mètres, que l’un deux tombe, tué net d’une balle. Victor et les trois autres se couchent immédiatement au sol. Un sergent et deux hommes viennent les renforcer. Sous les balles, ils gagnent de gros peupliers derrière lesquels ils s’abritent. Ils sont à cinquante mètres du pont au pied duquel se trouve une compagnie allemande. Les sept hommes résistent pendant une heure, empêchant une centaine de soldats allemands de passer le pont. N’ayant aucun soutien de leur section, Victor décide d’aller voir à l’arrière ce qu’il se passe. Sous le feu des balles ennemis, il rejoint à quatre pattes la section qui a reculé cinq cents mètres plus loin près d’un village. Il retourne ensuite auprès de ses six camarades pour leur transmettre l’ordre de se replier. Les sept hommes se retirent en direction du village sous les obus. Ils sont accueillis par un feu nourri, des Allemands sont cachés dans le village. Ils s’abritent dans un fossé et patientent, le temps que leur artillerie disperse les soldats ennemis dissimulés.

Pour son second fait d’armes, Victor est désigné avec six hommes pour reconnaitre en plein jour un petit bois dont les Allemands se seraient retirés. Les sept soldats rampent pendant sept à huit cents mètres avant d’arriver au pied du bois. Les soldats ennemis, toujours présents, les repèrent. Les obus et les balles pleuvent ! Malgré tout, Victor recueille de précieux renseignements sur l’occupation du bois, l’emplacement d’une tranchée et de plusieurs batteries de 77. Victor et ses hommes se retirent en rampant vers leur compagnie. A peine ont-ils parcouru vingt mètres, qu’un obus éclate à l’emplacement qu’ils viennent de quitter ! Fort heureusement, aucun des sept hommes ne sera blessé. L’après-midi, les batteries ennemies reconnues par Victor sont détruites par l’artillerie française.

Son dernier fait d’armes est assez similaire au second. Victor est envoyé avec quelques hommes en patrouille de reconnaissance pour prendre position en vue d’une attaque. Lors de ce recueil de renseignement, la patrouille ne subit aucune perte, seul un homme est légèrement blessé.

Commandant de la 10ème compagnie

Du 19 au 22 février 1915, le 115e RI combat à Perthes dans la Haute-Marne pour prendre aux Allemands le Bois 3. La bataille est sanglante et les pertes cotés français sont nombreuses. Le 19 février, le capitaine Lacombe commandant la 10ème compagnie est tué. Victor prend temporairement le commandement de la compagnie. Le 2ème bataillon, soutenu par les 1ère et 10ème compagnies, atteint l’objectif, prendre et conserver le bois 3. Victor sera cité le 24 juin 1915 à l’ordre du corps des armées pour cette initiative : « A pris avec vigueur le commandement de sa compagnie après la mort de son capitaine ».

Le 1er mars 1915, le 115e RI est à Suippes (51). Le régiment est reconstitué, Victor prend officiellement le commandement de la 10ème compagnie.

Le directeur de l’Administration générale de l’Assistance publique à Paris, félicite Victor dans une lettre datée du 21 avril 1915 :

Paris, le 21 avril 1915
Mon cher pupille,
Je viens de lire la lettre que vous avez adressée au Directeur de l’Agence d’Ecommoy pour lui annoncer votre nomination au grade de Sous-Lieutenant et lui relater les faits d’armes qui vous ont valu cette distinction.
Je m’empresse de vous adresser mes plus vives félicitations tant pour votre bravoure que pour la modestie des sentiments que vous exprimez et qui vous font honneur personnellement et qui font aussi hautement honneur à notre grande famille.
Croyez, mon cher pupille, à mes meilleurs sentiments.
Le directeur de l’administration

A.D. de Paris, D5X4 1316

Le 17 et 18 mai 1915, Victor bénéficie d’une permission lui donnant le droit de se rendre à Troyes. Une réquisition a été délivrée par le Service des enfants assistés de la Seine à Mme Trotté pour qu’elle puisse accomplir gratuitement le voyage aller-retour du Mans à Troyes. Victor y retrouve sa nourricière, qu’il a coutume d’appeler « maman ». Son père adoptif, Auguste Trotté, est absent ; il est mobilisé et n’a pu obtenir de permission.

Le 9 juin 1915, Victor reçoit officiellement son 2ème galon d’or, sa nomination au grade de lieutenant est ratifiée par décision ministérielle. Le 24 juin, il est cité au corps des armées et reçoit la croix de guerre avec étoile.

La Main de Massiges

Le 24 décembre 1915, le 115e RI prend position à l’index de la Main de Massiges. Cette forteresse naturelle en forme de main gauche est située sur la commune de Massiges dans la Marne. Le 3e bataillon dont fait partie la 10e compagnie est en première ligne. Les pluies incessantes provoquent les éboulements des tranchées, les soldats travaille constamment à la consolidation des abris, à l’amélioration des tranchées et boyaux. Le régiment est relevé dans la nuit du 31 décembre 1915 au 1er janvier 1916 par le 117e RI.

La Main de Massiges – Collection personnelle

Le 115e RI cantonne à Courtémont avant de relever le 117e dans la nuit du 8 au 9 janvier. A 15h30, les Allemands lancent une attaque par jets de liquide enflammé et d’obus à gaz lacrymogène. L’affrontement durera toute la nuit. Les journées suivantes seront plus calmes malgré quelques échanges de feu et tir de barrage. Le 115e est relevé dans la nuit du 16 au 17 janvier par le 117e.

Le 3e bataillon cantonne une bonne semaine à Courtémont. Ses hommes retournent au front, à l’index de la Main de Massiges, dans la nuit du 25 au 26 janvier. L’infanterie et l’artillerie ennemies sont très actives.

Le 30 janvier, la journée est un peu plus calme. En première ligne, Victor dirige et observe par-dessus la tranchée les tirs de grenades. C’est alors qu’il est abattu d’une balle en plein front…

Epilogue

Le 6 mars 1916, Monsieur Burgh, directeur de l’agence d’Ecommoy, renseigne dans les registres des enfants assistés de la Seine, l’état des pupilles et anciens pupilles, tués à l’ennemi, blessés ou prisonniers, connus à la date du 1er mars 1916. Il écrit pour Victor Leveau :

« Lieutenant à la 10e compagnie du 115e d’Infanterie, tué à l’ennemi d’une balle au front, en observant un tir de grenade. Tombé au Champ d’Honneur le 30 janvier 1916 à l’index de la Main de Massiges. »

A.D. Paris, D5X4 1316

Le 6 avril 1916, Victor est cité à l’ordre de l’armée :

« LEVEAU (Victor), lieutenant au 115e rég. d’infanterie : officier d’une belle crânerie et d’une bravoure à toute épreuve. Est tombé mortellement frappé le 30 janvier 1916 en dirigeant et observant par dessus la tranchée de première ligne un tir de grenades à baguettes. »

Journal Officiel de la République Française n°96, 6 avril 1916

Dans le journal officiel du 26 décembre 1919, Victor est inscrit aux tableaux spéciaux de la Légion d’honneur et de la médaille militaire pour chevalier.

En citant Victor Leveau sur le monument aux morts de la Grande Guerre, les habitants de Parigné-l’Evêque ont honoré un de leurs enfants adoptifs qui a fait preuve d’une grande bravoure lors de cette guerre meurtrière au cours de laquelle sont tombés plus d’un millions trois cent mille enfants de la patrie.

Monument aux Morts de Parigné-l’Evêque – Collection personnelle

  1. Le caporal est un militaire du rang. Il dirige quatre à cinq hommes. ↩︎
  2. Le sergent est le premier grade de sous-officier de l’armée terre. Il dirige une dizaine d’hommes. ↩︎
  3. Le grade militaire de sous-lieutenant est le premier grade d’officier dans l’armée. ↩︎
  4. Le galon d’or est le signe distinctif d’un sous-lieutenant dans une unité légère de l’infanterie. ↩︎

2 Comments

  1. Régis Coudret Régis Coudret 5 décembre 2023

    Merci pour ces deux beaux articles. La prochaine fois que je passe à Parigné l’Evêque, j’aurai une pensée pour ce soldat.

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